Merci d’abord à vous pour les commentaires et relances, auxquelles je vais tenter d’avancer quelques propositions.
Il me faut tout d’abord noter que ma première intention avec le « non comme sinthome » était « de blague » et de contingence, jeu avec les mots et les homophonies.
Au-delà cependant, ou en deça, en tout cas dans le sérieux derrière la plaisanterie, restent toutefois le NON et le dire-que-non. Le registre de la négation est consubstanciel à la psychanalyse, dès sa « naissance » et tout au long de l’élaboration freudienne (« reconnaissance de l’Inconscient par une formule négative »), puis repris, déplié voire tordu, torsadé et enrichi à de multiples reprises par Lacan, jusqu’à « la négation comme principe du dire vrai » (Séminaire L’insu que sait…, 10 Mai 77), en passant par la position même du sujet, d’où il ne pense pas.
Dans le registre signifiant, les valeur et fonction du NON sont aux fondements tant des élucubrations anthropologiques freudiennes (interdits culturels du meurtre et de l’inceste) que des éléments structuraux et subversifs de ses élaborations. Quand Lacan évoque le non en politique lors d’une séance du 18 Juin (cf la citation dans Les formations de l’Inconscient p. 457, amenée par Philippe), il l’associe à son propre non envers les institutions psychanalytiques, dont la dite excommunication fut le nom. Seule cette fermeté du désir a permis et produit le pas par lequel nous nous retrouvons dans son enseignement ; en quoi « la vérité du désir est à elle seule une offense à l’autorité de la loi » (Séminaire Le désir). Pour continuer à jouer avec les mots, on peut dire que ce sont les NON de Freud et de Lacan – leur désir ! – qui ont permis une transmission jusqu’à nous. Comme le rappelle Florence, c’est un non aux conventions et aux places et discours assignés, il contrecarre tant le silence imposé que dogmes et doxa intouchables, et parfois « contre les vents de la discorde et la marée de ses servitudes », tel que l’énonce Lacan au sujet d’Edouard Pichon et ses travaux de grammairien sur… la négation ! (Ecrits, pp. 360-361). Il détone en cela tant du parler pour ne rien dire que de la répétition en boucle et en écho désincarné des mêmes vieilles lunes : erreur de s’approprier un geste qui ne vient pas de sa propre expérience, nous dit l’artiste !
Le NON de ces moments-là (le temps en effet me paraît en être un facteur essentiel, lié à la contingence) ne reste pas assujetti à la seule logique signifiante et confine à la catégorie du Réel, tel un franchissement du Rubicon. Il diffère des op-positions névrotiques, discours contre, anti, dont l’effet porte au contraire à faire consister un Autre responsable de tous les maux. C’est d’une position de sujet qu’il s’agit, de ne s’orienter que de l’insu, cet irréfutable qu’on ne sait pas savoir ; subjectivation d’un mode de négation qui ne soit pas de refoulement, dénégation, déni ou forclusion, mais mode de présence d’un Réel, permettant alors nouage ou renouage. Le dire-que-non, en tant qu’acte, prend alors effet et valeur éthique, et ouvre à la responsabilité.
Un merci général pour les contributeurs à ce coin des Arts. Bien évidemment la question de l'humain en ces temps Covid ne peut que nous interroger d'une part et d'autre part nécessiter des bouts de réponse, ce à quoi nous nous sommes essayés dans ce Séminaire de la semaine dernière.
JFZ a amené la question du "NON", j'auraois bien aimé qu'il en dise un peu plus sur cette équivalence dont il fait l'hypothèse entre le NON et le sinthome...
Je rejoins aussi Philippe: soyons prudents, ne mettons pas l'humain à toutes les sauces!! Je l'ai rappelé lors du Séminaire, la thèse de Freud du Malaise dans la civilisation reprise par Hannh Arendt avec le "Mal radical" doit être gardée en mémoire. peut-être cela rejoint-il ce que philippe indiquait concernant la responsabilité et l'éthique .
Sur la proposition de Florence, je précise que la ronde des discours que lacan a sortie ne se rompt pas, y compris lorsqu'il parle de sortie du discours capitaliste. Le discours capitaliste est le discours du Maître perverti, ce qui veut dire qu'en sortir ne nous conduirait pas pour autant aux lendemains qui chantent pas plus qu'au Dimanche de la vie. L'important je crois est qu'il a fallu le discours analytique pour que les 3 autres soient écrits par Lacan et il faut bien dire qu'en effet avec les 4 discours nous avons les structures des discours existant. Lacan visait "un discours sans parole", la meilleure preuve qu'il n'y est pas parvenu se situe dans son enseignement qu'il a poursuivi jusqu'au bout..de sa vie. Qu'il n'y ait d'être que parlant dit très bien la limite de la condition humaine, il faut bien mesurer cette condition.
Oser "dire que non" au silence imposé par "ce qui convenu de dire ou de ne pas dire" ici ou ailleurs, silence imposé par la terreur, consentement ignoble que d'accepter de se taire ou de parler pour ne rien dire ce qui revient au même! Bien sûr, il n'est pas question de mettre la politique au chef de la psychanalyse mais bien d'inverser la proposition: l'inconscient au chef de la politique. Non, dire que non, c'est d'abord un dire, c'est à dire un nouage à 3, incluant donc le réel, et un dire n'est pas un discours ( j'en profite pour essayer de répondre aux questions de Brice dans son texte qui figure dans Les fragments lacaniens). Le noeud ( qui fait suite au discours dans l'enseignement de Lacan) est à mon avis la seule façon de sortir du politique (et donc des discours). Par le noeud Lacan introduit ce qui est en impasse dans les discours. Que peut-on faire avec les discours? Passer de l'un à l'autre et c'est sans fin voilà l'impasse. Ce passage rendu possible et nécessaire dans une cure se fait par le discours analytique mais si il est nécessaire il n'est pas suffisant car il aboutit à une impasse. Lacan précise alors que le discours analytique est un discours sans parole, qu'est ce qu'un discours sans parole? Enlevons la parole au langage que reste t-il ? La structure trouée ( pourrait-on dire : l'inconscient réel est structuré comme un langage sans parole?). C'est un noeud. Le passage du discours au dire est un faire: fautl'faire et ça ne peut se faire qu'au un par un. Merci Jean-François de l'avoir fait.
Merci Philippe, très belle coïncidence en effet que cette incise par la citation de Lacan, et le faisceau porté dans le champ des politiques sur la question du non et de sa place dans la logique signifiante. Cela me semble-t-il peut aussi faire écho aux questions ouvertes par Brice sur ce même site à partir des discours, et de leur ronde. Dans l'espace de certains instants, pourrait-on parler du non comme sinthome!?...
J'ajoute, coïncidence fulgurante, cette citation de Lacan que David Bernard m'a transmise dans le cadre d'un cartel du Laboratoire International de la Politique de la Psychanalyse. C'est dans le séminaire V, leçon du 18 juin, la première phrase: « La part du signifiant dans la politique - du signifiant non quand tout le monde glisse dans un consentement ignoble - n’a jamais encore été étudiée ». Passionnant non?
Merci Jean François. A la fois ton propos, à la fois ta référence à Charlie m'ont fait penser au séminaire "Un rien d'humain" d'hier soir. J'ai retrouvé un article, justement de Charlie, auquel je pensais en évoquant la duplicité du signifiant "humain". On connaît cette expression: aux chiffres on peut leur faire dire ce qu'on veut. Idem pour les mots en fait. On l'entend, mais aussi on en voit les conséquences possibles. Nous nous interrogions hier sur l'effet d'humanisation, ou d'humanité d'une analyse. Savoir un peu de quels signifiants, et de quelles lettres, nous sommes faits, a j'en suis convaincu une incidence sur notre responsabilité et notre éthique tout au moins. C'est peut-être sur ce point que se situerait l'effet d'humanisation d'une cure, en restant prudent donc sur la polysémie du mot humain. Voici le lien vers le très court article dont je parle: https://charliehebdo.fr/2020/02/societe/le-materiel-humain/
Merci d’abord à vous pour les commentaires et relances, auxquelles je vais tenter d’avancer quelques propositions.
Il me faut tout d’abord noter que ma première intention avec le « non comme sinthome » était « de blague » et de contingence, jeu avec les mots et les homophonies.
Au-delà cependant, ou en deça, en tout cas dans le sérieux derrière la plaisanterie, restent toutefois le NON et le dire-que-non. Le registre de la négation est consubstanciel à la psychanalyse, dès sa « naissance » et tout au long de l’élaboration freudienne (« reconnaissance de l’Inconscient par une formule négative »), puis repris, déplié voire tordu, torsadé et enrichi à de multiples reprises par Lacan, jusqu’à « la négation comme principe du dire vrai » (Séminaire L’insu que sait…, 10 Mai 77), en passant par la position même du sujet, d’où il ne pense pas.
Dans le registre signifiant, les valeur et fonction du NON sont aux fondements tant des élucubrations anthropologiques freudiennes (interdits culturels du meurtre et de l’inceste) que des éléments structuraux et subversifs de ses élaborations. Quand Lacan évoque le non en politique lors d’une séance du 18 Juin (cf la citation dans Les formations de l’Inconscient p. 457, amenée par Philippe), il l’associe à son propre non envers les institutions psychanalytiques, dont la dite excommunication fut le nom. Seule cette fermeté du désir a permis et produit le pas par lequel nous nous retrouvons dans son enseignement ; en quoi « la vérité du désir est à elle seule une offense à l’autorité de la loi » (Séminaire Le désir). Pour continuer à jouer avec les mots, on peut dire que ce sont les NON de Freud et de Lacan – leur désir ! – qui ont permis une transmission jusqu’à nous. Comme le rappelle Florence, c’est un non aux conventions et aux places et discours assignés, il contrecarre tant le silence imposé que dogmes et doxa intouchables, et parfois « contre les vents de la discorde et la marée de ses servitudes », tel que l’énonce Lacan au sujet d’Edouard Pichon et ses travaux de grammairien sur… la négation ! (Ecrits, pp. 360-361). Il détone en cela tant du parler pour ne rien dire que de la répétition en boucle et en écho désincarné des mêmes vieilles lunes : erreur de s’approprier un geste qui ne vient pas de sa propre expérience, nous dit l’artiste !
Le NON de ces moments-là (le temps en effet me paraît en être un facteur essentiel, lié à la contingence) ne reste pas assujetti à la seule logique signifiante et confine à la catégorie du Réel, tel un franchissement du Rubicon. Il diffère des op-positions névrotiques, discours contre, anti, dont l’effet porte au contraire à faire consister un Autre responsable de tous les maux. C’est d’une position de sujet qu’il s’agit, de ne s’orienter que de l’insu, cet irréfutable qu’on ne sait pas savoir ; subjectivation d’un mode de négation qui ne soit pas de refoulement, dénégation, déni ou forclusion, mais mode de présence d’un Réel, permettant alors nouage ou renouage. Le dire-que-non, en tant qu’acte, prend alors effet et valeur éthique, et ouvre à la responsabilité.
Un merci général pour les contributeurs à ce coin des Arts. Bien évidemment la question de l'humain en ces temps Covid ne peut que nous interroger d'une part et d'autre part nécessiter des bouts de réponse, ce à quoi nous nous sommes essayés dans ce Séminaire de la semaine dernière.
JFZ a amené la question du "NON", j'auraois bien aimé qu'il en dise un peu plus sur cette équivalence dont il fait l'hypothèse entre le NON et le sinthome...
Je rejoins aussi Philippe: soyons prudents, ne mettons pas l'humain à toutes les sauces!! Je l'ai rappelé lors du Séminaire, la thèse de Freud du Malaise dans la civilisation reprise par Hannh Arendt avec le "Mal radical" doit être gardée en mémoire. peut-être cela rejoint-il ce que philippe indiquait concernant la responsabilité et l'éthique .
Sur la proposition de Florence, je précise que la ronde des discours que lacan a sortie ne se rompt pas, y compris lorsqu'il parle de sortie du discours capitaliste. Le discours capitaliste est le discours du Maître perverti, ce qui veut dire qu'en sortir ne nous conduirait pas pour autant aux lendemains qui chantent pas plus qu'au Dimanche de la vie. L'important je crois est qu'il a fallu le discours analytique pour que les 3 autres soient écrits par Lacan et il faut bien dire qu'en effet avec les 4 discours nous avons les structures des discours existant. Lacan visait "un discours sans parole", la meilleure preuve qu'il n'y est pas parvenu se situe dans son enseignement qu'il a poursuivi jusqu'au bout..de sa vie. Qu'il n'y ait d'être que parlant dit très bien la limite de la condition humaine, il faut bien mesurer cette condition.
Oser "dire que non" au silence imposé par "ce qui convenu de dire ou de ne pas dire" ici ou ailleurs, silence imposé par la terreur, consentement ignoble que d'accepter de se taire ou de parler pour ne rien dire ce qui revient au même! Bien sûr, il n'est pas question de mettre la politique au chef de la psychanalyse mais bien d'inverser la proposition: l'inconscient au chef de la politique. Non, dire que non, c'est d'abord un dire, c'est à dire un nouage à 3, incluant donc le réel, et un dire n'est pas un discours ( j'en profite pour essayer de répondre aux questions de Brice dans son texte qui figure dans Les fragments lacaniens). Le noeud ( qui fait suite au discours dans l'enseignement de Lacan) est à mon avis la seule façon de sortir du politique (et donc des discours). Par le noeud Lacan introduit ce qui est en impasse dans les discours. Que peut-on faire avec les discours? Passer de l'un à l'autre et c'est sans fin voilà l'impasse. Ce passage rendu possible et nécessaire dans une cure se fait par le discours analytique mais si il est nécessaire il n'est pas suffisant car il aboutit à une impasse. Lacan précise alors que le discours analytique est un discours sans parole, qu'est ce qu'un discours sans parole? Enlevons la parole au langage que reste t-il ? La structure trouée ( pourrait-on dire : l'inconscient réel est structuré comme un langage sans parole?). C'est un noeud. Le passage du discours au dire est un faire: fautl'faire et ça ne peut se faire qu'au un par un. Merci Jean-François de l'avoir fait.
Merci Philippe, très belle coïncidence en effet que cette incise par la citation de Lacan, et le faisceau porté dans le champ des politiques sur la question du non et de sa place dans la logique signifiante. Cela me semble-t-il peut aussi faire écho aux questions ouvertes par Brice sur ce même site à partir des discours, et de leur ronde. Dans l'espace de certains instants, pourrait-on parler du non comme sinthome!?...
J'ajoute, coïncidence fulgurante, cette citation de Lacan que David Bernard m'a transmise dans le cadre d'un cartel du Laboratoire International de la Politique de la Psychanalyse. C'est dans le séminaire V, leçon du 18 juin, la première phrase: « La part du signifiant dans la politique - du signifiant non quand tout le monde glisse dans un consentement ignoble - n’a jamais encore été étudiée ». Passionnant non?
Merci Jean François. A la fois ton propos, à la fois ta référence à Charlie m'ont fait penser au séminaire "Un rien d'humain" d'hier soir. J'ai retrouvé un article, justement de Charlie, auquel je pensais en évoquant la duplicité du signifiant "humain". On connaît cette expression: aux chiffres on peut leur faire dire ce qu'on veut. Idem pour les mots en fait. On l'entend, mais aussi on en voit les conséquences possibles. Nous nous interrogions hier sur l'effet d'humanisation, ou d'humanité d'une analyse. Savoir un peu de quels signifiants, et de quelles lettres, nous sommes faits, a j'en suis convaincu une incidence sur notre responsabilité et notre éthique tout au moins. C'est peut-être sur ce point que se situerait l'effet d'humanisation d'une cure, en restant prudent donc sur la polysémie du mot humain. Voici le lien vers le très court article dont je parle: https://charliehebdo.fr/2020/02/societe/le-materiel-humain/